Grand angle. Confié à 102 artistes de dix-huit pays, un immeuble parisien est devenu un monument du street art. Il s’ouvre demain au public pour un mois, avant démolition. En avant-première, visite avec l’initiateur du projet.
Grand Angle
Par Sophian Fanen Photos Raphaël Dautigny
Il y a quelques mois encore, l’immeuble du 3-5, rue Fulton était un morne HLM de neuf étages, à quelques encablures du ministère des Finances et de la Bibliothèque nationale de France, dans le XIIIe arrondissement de Paris. Aujourd’hui, c’est un objet d’art orange fluo qui crève le paysage des bords de Seine, entre Bercy et la place d’Italie. Confiés à 102 artistes venus de dix-huit pays, sa façade et sa trentaine d’appartements sont devenus lentement une gigantesque installation, une explosionstreet art dans laquelle on perd la notion d’espace et de temps. Cette galerie verticale sera ouverte à la visite (seules 49 personnes pourront y entrer en même temps…), du 1er au 31 octobre (1), avant que le bâtiment ne soit détruit pour faire place à de nouveaux logements sociaux financés par son propriétaire, la SNCF. Du sol au plafond Cet ovni artistique a été initié par la galerie Itinerrance et son fondateur, Mehdi Ben Cheikh, qui avait déjà honoré de fresques géantes une quinzaine d’immeubles du sud parisien. «En 2011, la mairie nous a permis d’entrer en contact avec des bailleurs sociaux qui nous ont laissé faire, peu à peu. Puis, on a voulu passer à une autre dimension avecun bâtiment entier, expliquait-il, la semaine dernière, déambulant dans les entrailles encore paisibles de sa bête colorée. Il nous fallait un lieu voué à la destruction, car l’éphémère est l’essence du street art.» La tour Paris 13, qui restera dans les mémoires via une visite en ligne et un documentaire, rappelle la nature furtive de ces arts de rue, au moment où le genre bascule dans les circuits conventionnels du marché de l’art. La visite commence au neuvième et dernier étage. Mehdi Ben Cheikh ne s’est pas contenté de confier un mur aux artistes. Il leur a livré des appartements entiers, du sol au plafond. «Je voulais qu’on entre intégralement dans leur monde»,explique le galeriste. On plonge donc dans celui du Français Sambre, qui a transformé une pièce en une perspective troublante. Le sol en damier, réalisé en ponçant le parquet d’origine, guide le regard vers un point de fuite bordé de portes en bois. «Ce sont celles des logements», dit l’artiste qui avait déjà réalisé une impressionnante sphère entre deux étages des Bains Douches, l’ancienne boîte de nuit parisienne. «Comme tous les autres artistes les balançaient, je les ai récupérées. J’aime réagir à des lieux qui ont déjà vécu. Ces cloisons parlent de l’immeuble que l’on occupe», traçant une ligne du temps claustrophobique. Paulette, locataire Plus bas, le visiteur est transporté ailleurs.
Un étage regroupe plusieurs artistes arabes qui font peser un climat dur et agressif sur les murs, écho des événements dans leurs pays. Le Tunisien Shoof noie son appartement sous des kalachnikovs, des obus et un lettrage serré, tandis que son compatriote El Seed , qui a explosé cette année sur la scène internationale après avoir repeint le minaret de la mosquée de Gabès , envoie un message plus optimiste en renouvelant la calligraphie arabe à coup de peinture fluo. D’un étage à l’autre, la plongée est aussi drôle qu’étouffante, aussi puissante qu’inventive. Les artistes ont gratté, découpé, cassé les espaces, reconstruisant entièrement le bâtiment comme si un virus urbain s’y était insinué, des caves au sommet. Seules quatre portes restent fermées, celles des derniers locataires qui n’ont pas encore été relogés et vivent, avec plus ou moins de bonheur, dans ce monument du street art. Paulette Lesage, 77 ans dont trente passés dans l’immeuble, est de ceux qui voient l’aventure d’un bon oeil. Elle dit avoir appris à apprécier «ces artistes qui font plus que du graffiti. C’est comme si j’habitais dans un tableau géant». (1) http://www.tourparis13.fr
Articolo apparso sul giornale francese Liberation del 39 settembre 2013
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